PL 12806
Projet de loi modifiant la loi sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics (LIF) (K 1 18) (Renforcement de la protection de la jeunesse contre le tabagisme)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève décrète ce qui suit :
Art. 1 – Modifications
La loi sur l’interdiction de fumer dans les lieux publics, du 22 janvier 2009, est modifiée comme suit :
1er considérant (nouveau, le 1er considérant ancien devenant le 2e considérant) et 2e considérant (nouvelle teneur)
Vu l’article 4 de la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif, du 3 octobre 2008 ; vu les articles 172, alinéa 1, et 176 de la constitution de la République et canton de Genève, du 14 octobre 2012 (ci-après : la constitution).
Art. 1, al. 1 (nouvelle teneur)
La présente loi a pour but de protéger la population, et en particulier la jeunesse, contre l’exposition au tabagisme et de mettre en œuvre l’interdiction de fumer prévue par l’article 176 de la constitution.
Art. 2, al. 1 et 2 (nouvelle teneur)
Il est interdit de fumer dans les lieux publics ou accessibles au public intérieurs ou fermés, ainsi que dans les lieux publics ou accessibles au public extérieurs ou ouverts visés à l’article 3, alinéa 2 de la présente loi (ci-après : lieux publics). On entend par accessibles au public tous les lieux dont l’accès n’est pas réservé à un cercle de personnes déterminé et délimité de manière étroite.
Art. 3, phrase introductive (nouvelle teneur) et al. 2 (nouveau)
L’interdiction de fumer dans les lieux intérieurs ou fermés concerne notamment : L’interdiction de fumer dans les lieux extérieurs ou ouverts concerne exclusivement :
a) les espaces non fermés des établissements de formation, des écoles et des garderies ;
b) les aires de jeux destinées aux enfants et les pataugeoires ;
c) les terrains sportifs, y compris les aires réservées aux spectateurs ;
d) les patinoires et les piscines ;
e) les terrains des camps de jour et des camps de vacances.
Art. 6, al. 1 (nouvelle teneur)
L’exploitant ou le responsable des lieux publics signale de façon visible l’interdiction de fumer par voie d’affichage, notamment à l’entrée ou, dans le cas d’un lieu extérieur, aux abords directs de celui-ci.
Art. 2 – Entrée en vigueur
La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation dans la Feuille d’avis officielle.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Introduction
9500 personnes meurent chaque année du tabac en Suisse. Le tabac coûte des milliards à notre système de santé et à notre économie. Alors que les jeunes sont une cible privilégiée de l’industrie du tabac, la Suisse maintient une législation permissive sur la publicité des produits du tabac et une taxation beaucoup trop faible de ceux-ci. Ce sont pourtant des axes importants sur lesquels il est possible d’intervenir pour prévenir efficacement le tabagisme, en particulier chez les jeunes¹.
En 2019, la Suisse est arrivée 35e sur 36 pays européens, classés en fonction de leurs mesures de lutte antitabac (Tobacco Control Scale)². En outre, la Suisse n’a toujours pas ratifié la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, signée en 2004, alors que 181 pays l’ont déjà entérinée³.
Face aux blocages fédéraux, les cantons doivent proposer des stratégies alternatives. L’article 4 de la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif du 3 octobre 2008 prévoit explicitement la possibilité pour les cantons d’édicter « des dispositions plus strictes pour la protection de la santé ».
Pour protéger les jeunes et les enfants des risques du tabac, le canton de Genève dispose de l’art. 172 al. 1 de la Constitution genevoise relatif à la promotion de la santé : « L’Etat prend des mesures de promotion de la santé et de prévention. Il veille à réduire l’impact des facteurs environnementaux et sociaux préjudiciables à la santé. »
Ce projet de loi :
– a pour but d’empêcher les enfants et les jeunes d’entrer en consommation tabagique, en créant des environnements extérieurs sains, sans fumée, pour renforcer la perception selon laquelle le non-tabagisme est la norme ;
– s’inscrit dans le plan cantonal de promotion de la santé et de prévention 2019-2023.
Les jeunes : une cible privilégiée de l’industrie du tabac
Plus de 80% des fumeurs·euses ont commencé à fumer avant 21 ans. Une personne qui n’a jamais fumé avant cet âge restera très probablement non-fumeuse toute sa vie⁴. Entre 2013 et 2014, l’Observatoire des stratégies marketing pour les produits du tabac en Suisse romande a décrit et analysé les formes de publicité en faveur du tabac, de promotion et de parrainage présentes sur le territoire romand. Et il est parvenu au constat que ces stratégies résultaient d’un « […] calcul minutieux visant à toucher le plus de jeunes possible […] »⁵.
Ce phénomène a pris une telle ampleur, qu’en mai dernier, dans le cadre de la Journée mondiale sans tabac, l’Organisation mondiale de la santé a lancé une campagne pour mettre l’accent sur les tactiques utilisées par l’industrie du tabac pour attirer les jeunes générations. L’objet de cette campagne était également de mettre en lumière le risque de la consommation de tabac dans le contexte de l’épidémie de COVID-19⁶.
Des espaces extérieurs sans fumée : exemples
Différentes stratégies contribuent à « dénormaliser » le tabac, celle que nous préconisons dans ce projet de loi consiste à créer des espaces extérieurs, favorables à une vie sans tabac⁷. Voir des personnes fumer ou des signes de l’usage de tabac (par exemple des mégots) peut contribuer à l’initiation au tabagisme chez les jeunes. Plus l’usage de tabac est visible, plus les jeunes pourront percevoir que ce comportement est prévalent et plus ils auront tendance à le considérer comme acceptable⁸.
La création d’espaces extérieurs sans fumée est une mesure répandue (entre autres en France, en Espagne, aux Etats-Unis, au Canada)⁹. Au Québec, par exemple, il est interdit de fumer dans un rayon de neuf mètres de toute porte menant directement à un établissement de santé, une université, une école, dans certains parcs, sur les terrasses publiques, sur les plages, dans les piscines publiques et pataugeoires, sur les terrains de sport. Des résultats encourageants ont été obtenus dans les parcs de Vancouver et ceux de la ville de New York : la proportion de visiteurs·euses aperçu·e·s en train de fumer y est passée de 3% avant l’interdiction de fumer à 1% après¹⁰.
Coire est la première ville de Suisse à avoir interdit (en 2008) la fumée dans les espaces de jeux publics. Depuis, de nombreux cantons et communes se sont positionnés sur cette thématique et ont mis en œuvre des mesures similaires : Lugano, Lamone (Tessin), Reinach (Argovie), Dietikon (Zurich), Thoune (Oberland bernois)¹¹. Une récente étude ayant analysé 14 programmes cantonaux de prévention du tabagisme a émis comme recommandation d’encourager à préserver de la fumée les cours d’école, les places de jeux et les terrains de sport¹².
Commentaire article par article
Les modifications proposées à la teneur des considérants, ainsi qu’aux premiers alinéas des articles 1 et 2 découlent directement des explications données ci-dessus et n’appellent pas d’autre commentaire.
Concernant la modification de la teneur du deuxième alinéa de l’article 2, celle-ci procède à une adaptation terminologique nécessaire au vu de l’extension de l’interdiction à certains lieux extérieurs ou ouverts.
Au cœur du présent projet de loi, l’article 3, relatif au champ d’application de la loi, est modifié de manière à introduire une énumération des lieux publics extérieurs sans fumée. Cette énumération, contrairement à celle se rapportant aux lieux intérieurs ou fermés, se veut exhaustive, raison pour laquelle il a été décidé de la faire figurer dans un nouvel alinéa, avec la suppression du mot « notamment ». A noter que cette énumération s’inspire directement de la loi québécoise concernant la lutte contre le tabagisme, datant de 2015¹³.
L’esprit de ce projet de loi est une mise en œuvre rapide, sans surcoût pour la collectivité ou tout·e acteur·trice du tissu économique genevois. Avec la crise économique, sociale et sanitaire que nous traversons, une telle mesure serait trop lourde de conséquences pour les entreprises soumises à la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement (LRDBHD). C’est pourquoi les terrasses de ces établissements ne sont pas concernées par le présent projet de loi.
Enfin, la nouvelle teneur de l’article 6, alinéa 1 vise à introduire une précision supplémentaire relative à l’obligation de signaler l’interdiction dans les lieux publics extérieurs concernés. Avec la proposition d’interdiction de fumer dans ce type de lieux se pose la question du périmètre. Au moment de l’adaptation du règlement d’application prévu à l’article 9, le Conseil d’Etat pourra baser sa réflexion sur les différentes pratiques existantes.
Les coûts du tabac
Pour terminer, à ce stade, nous ne sommes pas en mesure de fournir des chiffres précis quant aux économies attendues de cette stratégie de prévention structurelle. Nous pouvons néanmoins rappeler certains chiffres montrant les coûts engendrés par le tabagisme.
La consommation de tabac représente chaque année :
– 3 milliards de francs de frais médicaux¹⁴ ;
– 2 milliards de francs de pertes pour l’économie, liées aux incapacités de travail de courte ou de longue durée des fumeurs·euses qui tombent malades¹⁵ ;
– 53 millions de francs de nettoyage. Le ramassage des mégots sur les surfaces naturelles (pelouse, gravier, copeaux de bois, haies) « […] engendre un surcoût de nettoyage démesuré »¹⁶.
Il y a en outre l’impact environnemental du tabac¹⁷. Pour disposer d’un ordre de grandeur, entre le 24 septembre et le 19 novembre 2018, ce sont 20 758 024 mégots qui ont été jetés au sol sur le seul territoire de la Ville de Genève¹⁸. Ces chiffres sont alarmants, lorsque l’on sait qu’un seul mégot peut contaminer jusqu’à 500 litres d’eau¹⁹. L’ensemble des arguments avancés pourra, le cas échéant, être approfondi dans le cadre des travaux de commission.
Au vu de ces explications, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les député·e·s, de réserver un bon accueil au présent projet de loi.
¹ Organisation mondiale de la santé. Les jeunes et le tabac. Repéré à https://www.who.int/tobacco/control/populations/youth/fr/index1.html
² Etwareea Ram. (2020, 20 février). La Suisse, « la patrie des multinationales du tabac » épinglée. Le Temps. Repéré à https://www.letemps.ch/economie/suisse-patrie-multinationalestabac-epinglee
³ Direction générale de la santé. (2019). Plan cantonal de promotion de la santé et de prévention 2019-2023, p. 62. Repéré à https://www.ge.ch/document/plan-cantonal-promotion-santeprevention-psp-2019-2023/telecharger
⁴ Addiction Suisse. (2018, 30 mai). Six fois plus d’incitation à fumer qu’à ne pas fumer. Repéré à https://www.addictionsuisse.ch/actualites/article/six-fois-plus-dincitations-a-fumer-qua-ne-pasfumer/?tx_ttnews%5BbackPid%5D=0&cHash=b6db2c9bfb8ee965d1dc6d9633acfaff
⁵ Observatoire des stratégies marketing pour les produits du tabac. (2013-2014). Les jeunes constituent le principal public cible de l’industrie du tabac. Repéré à http://www.observatoiremarketing-tabac.ch/
⁶ Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. (2020, 31 mai). Journée mondiale sans tabac 2020. Repéré à https://www.who.int/fctc/mediacentre/news/2020/wntd-we-call-parties-toprotect-young-generations/fr/
⁷ Institut national de santé publique du Québec. (2004). Intégration de la dénormalisation dans la lutte antitabac au Québec, p.43. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/315-AvisDenormalisationLutteAntitabac.pdf
⁸ Institut national de santé publique du Québec. (2015). Interdictions de fumer dans des lieux publics extérieurs : exposition et mesures législatives et acceptabilité sociale. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/2021_Interdiction_Fumer_Lieux_Publics.pdf
⁹ Liste non exhaustive
¹⁰ Institut national de santé publique du Québec. (2015). Op. cit.
¹¹ Conseil exécutif du canton de Berne. (2019, novembre). Réponse à la motion portant sur l’Interdiction de fumer sur les places de jeux publiques et dans les installations scolaires du canton de Berne. Repéré à https://www.gr.be.ch/etc/designs/gr/media.cdwsbinary.DOKUMENTE.acq/dcb96d822f3043e2b5b9697ec6993a8f-332/5/PDF/2019.RRGR.202-RRB-F-196541.pdf
¹² Sager Fritz, Hardorn Susanne, Mavrot Céline, Balthasar Andreas. (2020, 25 mai). Comparaison des programmes cantonaux de prévention du tabagisme : résultats et recommandations. Centre de compétence en management public (KPM) de l’Université de Berne et la société Interface.
¹³ Loi concernant la lutte contre le tabagisme. (2015). Repéré à http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/l-6.2
¹⁴ Association suisse pour la prévention du tabagisme. (2019, 19 septembre). Etude ZHAW : le tabagisme coûte chaque année au moins 5 milliards de francs à la Suisse. Repéré à https://portal.at-schweiz.ch/index.php/fr/actualite/medias/480-etude-zhaw-le-tabagisme-coutechaque-annee-au-moins-5-milliards-de-francs-a-la-suisse
¹⁵ Office fédéral de la santé publique. (2020). Le tabac provoque 9500 décès par an. Repéré à https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/gesund-leben/sucht-und-gesundheit/tabak.html
¹⁶ Office fédéral de l’environnement. (2011). Le littering a un coût. Repéré à https://www.bafu.admin.ch/bafu/de/home.html
¹⁸ Ville de Genève. (2018). Action anti-mégots. Repéré à http://www.ville-geneve.ch/themes/environnement-urbain-espaces-verts/nettoiement-espace-public/action-antimegots/
¹⁹ Courchesne Catherine. (2018, décembre). Les nuisances environnementales du tabac. Infotabac.ca. Repéré à https://info-tabac.ca/les-nuisances-environnementales-du-tabac/