Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
décrète ce qui suit :
Art. 1 Modification
La loi sur l’université, du 13 juin 2008, est modifiée comme suit :
Art. 18A Anonymisation des examens écrits (nouveau)
Les copies des examens écrits réalisés en présentiel et en session sont transmises pour correction sous forme anonyme.
Art. 2 Entrée en vigueur
La présente loi entre en vigueur le 20 septembre 2021.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames et
Messieurs les député-e-s,
Le présent projet de loi vise à inscrire dans la loi le principe de l’anonymat des copies dans le cadre des examens écrits universitaires qui s’y prêtent. Il s’agit par-là de garantir une correction la plus impartiale et objective possible afin de renforcer l’égalité des chances que l’université se doit de promouvoir, comme le stipule l’article 3 de la loi sur l’université (LU) du 13 juin 2008.
En effet, la mention sur une copie des nom et prénom de l’étudiant-e peut être source de divers biais, conscients ou non, dans la correction. D’une part, certains stéréotypes associés au genre de l’étudiant-e ou encore à son origine peuvent influencer l’attitude du ou de la correctrice face à la copie. D’autre part, le fait de pouvoir identifier l’auteur-e de la copie peut amener des biais supplémentaires lorsque la personne chargée de la correction le ou la connaît. On pense bien sûr au cas où les deux parties se connaissent personnellement, ou sont liées par un réseau commun (fils ou filles de notables, d’ami-e-s, de collègues, etc.). Mais, même dans le cas d’une « simple » relation enseignant-e/élève, connaître le profil de l’étudiant-e peut également être problématique (un biais classique consiste par exemple à attendre davantage d’un-e élève que l’on sait brillant-e, et ainsi à être plus intransigeant-e lors de la correction de sa copie).
Qu’ils agissent en faveur ou en défaveur de l’étudiant-e, ces biais sont néfastes en ce sens que des facteurs extérieurs influencent le jugement de la personne qui corrige la copie, là où seule la performance de l’étudiant-e dans le cadre de l’examen concerné est réputée être évaluée1.
S’il est évident que la neutralisation totale des biais potentiels pouvant affecter la correction est difficilement réalisable tant ceux-ci sont nombreux et variés2, cela ne saurait justifier que l’on renonce à y tendre. Le présent projet de loi entend ainsi contribuer à cet objectif ambitieux par le biais de la généralisation d’une mesure simple et peu coûteuse.
Situation actuelle en Suisse et à Genève en particulier
Contrairement à d’autres pays, la France par exemple, où l’anonymisation des examens est un principe bien établi, la Suisse ne connaît pas de règle uniforme en la matière. Cet aspect est laissé à la libre appréciation de chaque faculté (voire de chaque enseignant-e) au sein de chaque université, donnant lieu à des pratiques très diverses d’un contexte d’enseignement à l’autre. C’est ainsi par exemple que les facultés de droit des Universités de Berne, Fribourg et Neuchâtel, ou encore la faculté de biologie de l’Université de Lausanne, imposent l’anonymisation de tous les examens écrits depuis plusieurs
décennies déjà3, tandis que les autres facultés de ces établissements n’appliquent rien de tel.
A l’Université de Genève (UNIGE), aucune mesure formelle allant dans le sens d’une systématisation de l’anonymisation n’a pour l’heure été prise, bien que le sujet soit débattu de manière récurrente au sein des organes délibératifs de l’alma mater depuis une dizaine d’années. Si des oppositions fermes se sont fait entendre au moment des premières discussions, l’idée semble depuis avoir fait du chemin et les réticences s’être amoindries. Pourtant, aujourd’hui encore, aucune règle claire n’existe pour encadrer la pratique de l’anonymisation des copies.
Evolution de la problématique de l’anonymisation à l’UNIGE
En 2012, alors qu’il était interpellé à ce propos, le rectorat expliquait que cette question avait déjà été soulevée quelques années auparavant et que, pour différentes raisons, il n’entendait pas suivre la voie d’une anonymisation des examens écrits jugée « trop coûteuse et rarement pertinente »4. Surpris de la teneur de cette réponse, le comité d’éthique et de déontologie (CED) s’était alors saisi de la question et avait enjoint le Rectorat à réexaminer sa position, « considérant que le processus d’anonymat garantit de manière absolue le traitement équitable des étudiantes et étudiants partout où il est possible de l’introduire »5.
La même année, une commission ad hoc a été mise sur pied au sein de l’Assemblée de l’université (autorité représentative de la communauté universitaire). En 2015, cette commission a réalisé un sondage auprès des étudiant-e-s, lequel sondage, malgré un taux de réponse modeste (25%), a révélé un très net soutien à l’anonymisation des examens puisque la mesure a
été plébiscitée par près de 80% des sondé-e-s 6. Par la suite, l’objectif de « définir un programme permettant l’anonymisation des examens » a été inscrit dans la convention d’objectifs 2016-2019 de l’UNIGE7.
Avec 43 examens anonymisés8 pendant l’année 2017-2018 contre 9 seulement en 2015, cet objectif a été considéré comme « pleinement atteint ». Cela étant, dans son rapport d’autoévaluation établi au début de l’année 2019, la direction de l’UNIGE relevait qu’environ 3360 étudiant-e-s avaient été touché-e-s par ladite mesure, alors qu’une enquête menée auprès des facultés évaluait jusqu’à 60 000 le nombre de copies qui chaque année pourraient faire
l’objet d’une anonymisation9. Et bien que le rapport mentionne la perspective d’un « élargissement important de l’e-assessment […] au cours des prochaines années », cet aspect n’apparaît plus dans la nouvelle convention d’objectifs adoptée pour les années 2020 à 202310.
Le Bureau de l’Assemblée de l’université a, à plusieurs reprises, exprimé son impatience face au manque d’avancées concrètes dans le domaine de l’anonymisation des examens à l’UNIGE. Le 27 février 2019, sur la base des éléments transmis dans le rapport d’auto-évaluation, il déclarait ainsi :
« nous avons l’impression que face à des opinions divergentes au sein de la communauté universitaire, le rectorat suit une stratégie du non choix en se positionnant ni complètement en faveur, ni complètement en défaveur d’une anonymisation. Et, après plus d’une année de gestation depuis la recommandation de l’Assemblée en la matière, et 6 ans après la recommandation du CED, cette prise de position nous semble timide, pour ne pas dire légère ou incomplète ». 11
Dans le même sens, en marge de la Grève féministe du 14 juin 2019, plusieurs syndicats étudiants transmettaient au rectorat un « cahier de revendications » comprenant, parmi plusieurs autres, la revendication suivante : « Lutter contre les biais de genre dans les processus d’évaluation des travaux et examens des étudiant.e.x.s par la mise en place d’un système de
copies anonymisées »12.
Quelques mois plus tard, en décembre 2019, le CED réitérait lui aussi sa recommandation initiale de 2012 et priait le rectorat de lui faire parvenir un calendrier des étapes à venir, afin « que l’anonymisation soit rapidement adoptée pour tous les examens qui s’y prêtent »13.
A ce jour, et à la connaissance de l’auteur du présent projet de loi, seul un « projet pilote » a été annoncé et devrait débuter pour la rentrée universitaire 2020, concernant une seule des 9 facultés que compte l’UNIGE.
Cette synthèse des discussions engagées il y a bientôt une décennie à l’UNIGE autour de la problématique de l’anonymisation des examens révèle deux éléments essentiels et en tension, à savoir d’une part le soutien important
dont jouit une telle mesure au sein de la communauté universitaire (et en particulier étudiante)14 et, d’autre part, l’inertie relativement forte de l’institution universitaire.
Pour ces raisons, il apparaît justifié à l’auteur du présent projet de loi de consacrer dans une norme légale le principe de l’anonymisation des copies pour les examens qui s’y prêtent, de sorte que celui-ci soit effectivement réalisé à brève échéance.
Commentaire de l’article unique
Il est proposé d’introduire un nouvel article dans la loi sur l’université (LU)
du 13 juin 2008, dédié spécifiquement au respect du principe d’anonymat dans
le cadre de la correction d’examens.
La précision quant à la forme des examens visés (i.e. examens « écrits »)
se justifie compte tenu du fait que d’autres formes d’évaluation (oraux, travaux
pratiques, etc.), courantes dans certaines facultés, ne peuvent naturellement
être soumises à la même exigence d’anonymat.
La formulation « en présentiel et en session » vise quant à elle à exclure les évaluations réalisées sous la forme de contrôles continus, comme cela est souvent le cas par exemple des travaux de séminaires (qu’ils soient réalisés en
groupe ou individuellement).
Bien entendu, la nature de l’examen écrit influe sur la marge d’appréciation laissée au correcteur ou à la correctrice, et ainsi sur l’importance des biais qui peuvent être présents au moment de la correction. Celle d’un questionnaire à choix multiple (QCM) présente par essence moins de risques à cet égard que l’évaluation d’une dissertation. Toutefois, il ne semble pas opportun de prévoir une exception formelle pour les QCM, et ce pour deux raisons principales : d’une part, ce type de copies ne demande pas l’établissement d’une procédure spécifique d’anonymisation qui viendrait le cas échéant augmenter les coûts de la mesure ; d’autre part, une telle exclusion pourrait avoir l’effet pervers de pousser les enseignant-e-s récalcitrant-e-s à y recourir davantage, sans que cela ne soit justifié par la nature du contenu et des objectifs de l’enseignement dispensé.
Enfin, la date d’entrée en vigueur proposée vise à assurer le déploiement de la mesure dès la prochaine rentrée universitaire. Selon le calendrier académique, la date exacte de début du semestre d’automne est fixée au 20 septembre 2021.
Conséquences financières
Contrairement à ce que qui est parfois affirmé dans le cadre du débat sur l’anonymisation des examens, la concrétisation de ce principe n’engendre pas nécessairement de coûts supplémentaires.
En effet, l’anonymat des copies peut être garanti de différentes façons, dont la plus simple dans le cadre universitaire consiste à n’indiquer que le numéro de matricule de l’étudiant-e15. Celui-ci étant d’ores et déjà systématiquement demandé, le seul changement notable consisterait en l’absence d’une information supplémentaire (i.e. les nom et prénom de l’étudiant-e). La saisie informatique des notes se ferait dès lors sur la seule base de ce numéro, ce qui ne présente à l’évidence aucune difficulté particulière pour le personnel chargé de cette opération. C’est par exemple ce qu’applique la faculté de droit de
l’Université de Neuchâtel depuis 200716.
On peut également songer à la possibilité d’apposer sur les copies des étiquettes munies de code-barres, comme suggéré par le CED de l’UNIGE17. Là encore, ce procédé n’est pas de nature à engendrer un surcoût ni une chargee travail supplémentaire prohibitifs.
Enfin, il existe bien sûr d’autres procédures plus sophistiquées permettant de garantir l’anonymat des étudiant-e-s dans le cadre d’un examen, par exemple les méthodes d’e-assessment déjà expérimentées à l’UNIGE. Le
présent projet de loi ne fait aucunement obstacle au développement de ce type d’évaluations. Il appartiendra à l’UNIGE de décider de manière autonome si elle souhaite s’engager plus avant dans cette voie ainsi que, le cas échéant, d’identifier les ressources nécessaires et celles qui peuvent y être allouées. C’est du reste la direction qu’elle évoquait dans son rapport d’autoévaluation de janvier 201918, sans toutefois annoncer de mesure concrète en ce sens.
Au vu de ce qui précède, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les député-e-s, d’accueillir favorablement le présent projet de loi.
Références
1 Comme il sera précisé plus loin, ce projet de loi ne vise pas les évaluations réalisées
sous la forme de contrôles continus, laquelle forme doit, quoiqu’il en soit, et pour
des raisons évidentes, être explicitée en amont dans la définition des critères
d’évaluation.
2 Pour un aperçu, voir par exemple : https://doc.rero.ch/record/256792/files/md_
bp_p21778_p21788_2013.pdf
3 https://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/fautil-rendre-examens-anonymes-sondage-lance/story/21660294
4 https://www.unige.ch/assemblee/files/2314/3557/3555/qar-2009-2012.pdf pp. 32-34
5 https://www.unige.ch/assemblee/files/1115/0598/5933/pv_21.06.17_app.pdf p. 15
6 Ibid.
7 http://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL12028.pdf, p. 13
8 via la méthode de l’e-assessment.
9 http://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL12608.pdf, p. 75
10 http://www.unige.ch/files/8715/7918/0799/cob2020-23.pdf
11 https://www.unige.ch/assemblee/files/4315/8279/6059/pv_27.02.19_annexe_ap.pdf, p. 2
12 https://geneve.ssp-vpod.ch/downloads/universite/cahier-de-revendications-greve-des-femmes-unige.pdf
13 https://www.unige.ch/assemblee/files/6615/8688/1207/pv_19_02_20_.pdf, p. 3
14 Cela est confirmé par les contacts pris par l’auteur du présent projet de loi au moment de son élaboration. En effet, parmi les dix-neuf associations d’étudiant-e-s consultées, dix ont affirmé leur soutien audit projet ; aucune ne s’est dite opposée au principe dudit projet, le reste n’ayant pas répondu à la sollicitation.
15 Certaines personnes s’opposent à cette solution au motif que le numéro d’étudiant permet, si le ou la correctrice en fait la recherche délibérée, de retrouver l’identité de l’auteur-e de la copie. Si la mesure n’est effectivement pas parfaite, elle a néanmoins le mérite de contrer de nombreux biais inconscients, de compliquer la tâche du ou de la correctrice peu scrupuleuse qui déciderait sciemment d’avantager ou de pénaliser un-e étudiant-e en particulier, et enfin d’être associée à un coût nul. Pour ces raisons, elle apparaît en tout état préférable au statut quo.
16 https://www.unine.ch/droit/de/home/espace-etudiants/examens_1.html
17 https://www.unige.ch/assemblee/files/6615/8688/1207/pv_19_02_20_.pdf p. 3 18 « L’inscription de l’anonymisation dans le contexte plus large de l’Université numérique permettra par ailleurs d’y affecter davantage de ressources et de
l’intégrer progressivement dans les pratiques » : https://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL12608.pdf p. 75